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Un dialogue de solidarité

samedi 4 août 2018

L'hyperhumanisme se fonde sur une conscience augmentée



Photo: Jacques Nadeau - Le Devoir Hervé Fischer soutient que l’homme est passé de l’âge du feu à l’ère du numérique.

Le Devoir, Cahier spécial Forum monndial des sciences sociales, Palais des congrès de Montréal

Hervé Fischer témoigne - «Si le numérique est un instrument de néo-impérialisme, il est aussi un outil de décolonisation»
Hélène Roulot-Ganzmann Collaboration spéciale
5 octobre 2013
Ce texte fait partie d'un cahier spécial.
L’avènement du numérique a fait entrer la société dans un nouveau paradigme, celui de l’information, alors que le moteur de l’évolution humaine se basait jusque-là sur un paradigme énergétique. C’est un point de vue que le sociologue Hervé Fischer expliquera plus en détail en fin de semaine prochaine, lors du Forum mondial des sciences sociales.

« Les réseaux sociaux sont devenus un phénomène spectaculaire, inimaginable il y a dix ans, argue Hervé Fischer. Quand on en arrive à avoir plusieurs centaines d’amis dans Facebook ou d’abonnés dans Twitter, pour n’en citer que deux, on voit bien qu’il y a un engouement symptomatique significatif d’un nouveau contexte sociologique. C’est évident que, lorsqu’un adolescent est fier d’être sur la page, mettons, de Coca-Cola, qui a quelque chose comme 26 millions d’amis, c’est une belle illusion d’intégration ou d’inclusion sociale. En fait, nous ne sommes plus dans une société de classes, mais bien dans une société de masse. »

Un phénomène que le sociologue lie à un autre, celui de l’urbanisation accélérée, qui mène inévitablement à un symptôme de solitude de l’individu, accentuée, atomisée dans la masse.

« Autre nouveauté, nous avons une sociologie qui est aujourd’hui basée sur deux pôles, explique Hervé Fischer. La mondialisation d’un côté, le village global dont on parle beaucoup, mais, de l’autre, l’individuation, c’est-à-dire la personne seule, qui essaie d’exister individuellement et de s’insérer localement. C’est une cosmologie impressionniste : si on regarde de près, on voit des petites taches les unes à côté des autres, c’est la conscience que l’individu a de lui-même, et, si vous vous éloignez, vous voyez l’image complète et vous ne remarquez plus les petites taches de couleur, parce qu’elles fusionnent dans l’ensemble de la perception. »

Intégration et… solitude

Une réalité qui touche d’autant plus les adolescents, qui, à la fois, sont centrés sur eux-mêmes et ont besoin d’exister. En tant que jeunes, sans ressources financières, sans position sociale ni professionnelle, ils ont du mal à exister dans la société, explique Hervé Fischer, ils vont se chercher un statut social dans le monde virtuel.

« Là, ils peuvent se prendre pour quelqu’un d’autre, gagner des points dans les jeux en réseau multiusagers, développer des amitiés, des relations, précise-t-il. Il y en a même qui deviennent des vedettes dans le monde virtuel, alors que, dans le monde réel, ils sont dans la frustration et l’impossibilité d’avoir une existence autre que simplement anonyme. Il y a donc aussi, dans le paradigme numérique, tout le phénomène de l’euphorisation et de l’illusion de la valorisation. »

Un phénomène de solitude qui n’est pas sans risque tant pour l’individu que pour la société, mais Hervé Fischer préfère faire preuve d’optimisme.

« Ce qui est intéressant, note-t-il, c’est qu’il y a quand même une inclusion sociale, même illusoire, mais surtout il y a une conscience de plus en plus planétaire. Par la multiplication des hyperliens, nous avons ce que j’appelle une conscience augmentée. Chacun de nous a une connaissance beaucoup plus large, en temps réel, simultanément, de ce qui se passe en Syrie, aux Nations Unies, au Bangladesh, dans l’Antarctique du point de vue écologique, etc. Je parle d’“hyperhumanisme” pour souligner qu’on a aujourd’hui un humanisme basé sur les hyperliens et que, en même temps, ça développe cette conscience augmentée, donc plus d’humanisme. »

Information et intervention

Ainsi, selon lui, plus d’information crée plus de conscience, donc plus de responsabilités. Et comme, grâce aux nouvelles technologies numériques, nous avons plus de pouvoir, ça engendre un sentiment d’obligation d’intervention.

« Quand il y a une catastrophe, une famine ou une guerre, on se sent concerné. On envoie de l’argent après un tsunami, un tremblement de terre. Le numérique développe également, dans la tête de ceux qui sont nés avec lui, l’idée qu’il y a un futur, un progrès technologique, qui, dans leur esprit, est un progrès humain, puisque nous créons une éthique planétaire. Peut-être en a-t-on enfin fini avec tous les discours postmodernes de nihilisme et de scepticisme. On recommence à croire au progrès humain à travers le progrès technologique. C’est un peu paradoxal, mais c’est la position que je soutiens. »

Une position optimiste qu’il nuance cependant. Car, si ce tsunami d’information crée cette conscience planétaire, Hervé Fischer ne nie pas qu’il puisse aussi être destructeur.

« On va apprendre à gérer, à prioriser et même à éviter les informations, estime-t-il. Aujourd’hui, c’est encore nouveau. Nous sommes assoiffés et le manque génère de la frustration. »

De l’âge du feu à l’ère numérique

Ainsi, Hervé Fischer développe la thèse selon laquelle nous serions passés en quelques années de l’âge du feu à celui du numérique. Que, jusqu’aux années 2000, il y avait le soleil, le vent, l’eau, la vapeur, l’électricité, le nucléaire, et qu’avec l’arrivée du numérique, mais surtout des réseaux sociaux, nous entrons dans un autre paradigme dominé par l’information.

Une démonstration qui ne s’applique cependant pas à toute la planète. Car c’est une infime part de la population, celle qui vit dans les pays développés, qui est entrée dans ce nouvel âge numérique.

« Cet espace numérique est en réalité néoféodal, prévient Hervé Fischer. Il est partagé par des holdings, des puissances commerciales et financières, qui s’en servent comme d’un instrument de pouvoir, y compris vis-à-vis des pays du Sud. Mais si le numérique est un instrument de néo-impérialisme, il est aussi un outil de décolonisation, nuance-t-il avec toujours ce même optimisme. On pourrait citer des centaines d’utilisations exceptionnelles du numérique en Afrique et en Amérique latine, du point de vue de la santé publique, de l’éducation et même de l’accès à l’information. »


Collaboratrice
 
Hervé Fischer prononcera deux conférences au Forum : « Le numérique : un nouveau paradigme incontournable pour les sciences humaines », le dimanche 13 octobre à 13 heures, et « Révolution anthropologique de l’ère numérique », le lundi 14 octobre à 11 heures.



mardi 31 juillet 2018

mythanalyse et "conscience augmentée"






À l’âge du numérique, l’émergence de la « conscience augmentée », Hervé Fischer

Notre réflexion synthétise et développe le concept de « conscience augmentée » évoqué dans mes deux derniers livres, La divergence du futur et La pensée magique du Net. Nous soulignons le caractère paradoxal de la capacité d’une technologie numérique basée sur un code binaire trivial à créer de la conscience et même une exigence d’éthique sociale planétaire, laïque et politique qui marque une divergence fondamentale dans l’évolution de notre espèce. En effet, loin d’être antihumaniste, la technologie numérique conduit tout au contraire à proposer l’idée d’un « hyperhumanisme » comme un concept sociologique recevable. La mythanalyse décèle la dimension mythique des liens numériques dans la dépendance existentielle qu’ils créent et en relève l’origine amniotique.

Sociétés
2015/3 (n° 129)
·       Pages : 138
·       ISBN : 9782807301344
·       DOI : 10.3917/soc.129.0063
·       Éditeur : De Boeck Supérieur